Emploi faute de saisonniers, des récoltes leur restent sur les bras
Alors que la pression s’intensifie depuis trois ans sur les employeurs en agriculture, Légumes de France enregistre un manque d’au moins quinze mille saisonniers en maraîchage. Certains testent de nouvelles voies pour embaucher et fidéliser.
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Pour Thomas Magnani, malgré des mois d’anticipation auprès de l’Administration, « c’est encore la galère cette année », et le début du dépit : « Je ne fais plus mon travail de paysan. Je n’ai pas cinquante ans et j’ai l’impression de parler comme un vieux. Quand je me suis installé, j’étais content de travailler. Désormais, je passe mon temps dans la paperasse. Nous faisons face à trop d’ennuis qui n’ont rien à voir avec l’agriculture ! Mon fils a 15 ans, je ne sais plus si je dois l’inciter à reprendre l'exploitation. »
Trop de paperasse
À la tête de 70 hectares de vigne, 2 hectares d’abricots et 2 hectares de prunes à Pompignan, dans le Tarn-et-Garonne, Thomas Magnani recherche tous les ans une vingtaine de saisonniers. « J’ai mis des annonces sur Facebook. Je n’ai eu que des messages de demandeurs d’asile russes, ukrainiens, congolais… J’ai essayé de les embaucher. L’Administration m’a dit : « Impossible ! À moins de faire une demande auprès de l’Ofpra », l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Mais il faut au minimum six mois pour obtenir une réponse ! »
Plus tôt, Thomas Magnani a essayé de recruter des Marocains, par contrats saisonniers Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Il les attendait pour le 1er mai, mais ils n’arriveront que le 1er juillet. « Sachant que je dois garder ces saisonniers en contrat Ofii au minimum trois mois, je me demande ce que je vais faire d’eux en septembre. Pour ma vigne, tout est mécanisé. »
« J’ai la boule au ventre »
« Depuis trois ans en France, le contexte se tend, confirme Céline Vila, responsable de l'emploi à Légumes de France et maraîchère en tomates sous serre dans les Pyrénées-Orientales. Les situations varient selon les régions, mais globalement nous estimons qu’il manque 15 000 saisonniers en maraîchage. Des agriculteurs se voient ainsi contraints de renoncer à une partie de leur production. »
Une fois les gels passés, se pose la question du personnel
« Par manque de saisonniers, des voisins arrachent leurs abricotiers », constate Fabien Romanat, qui produit des abricots, des noix et des asperges dans la Drôme. Il recourt à une vingtaine de saisonniers : « Une boule au ventre apparaît toujours en mai, une fois les gels passés, car se pose alors la question du personnel. »
Accélérer le processus
Face aux difficultés d’embauche, Légumes de France planche sur une simplification des contrats saisonniers Ofii, afin « d’accélérer le processus de recrutement avec le Maroc ». Avec la FNSEA, l’organisme milite également pour que l’agriculture soit reconnue comme un métier en tension dans la future loi sur l'immigration afin de bénéficier de visas spécifiques pour les travailleurs étrangers. « Il n’existe pas de solution unique, complète Céline Vila. Il faut surtout professionnaliser et diversifier ses recrutements, ce qui implique une animation locale forte. »
Les agriculteurs misent de plus en plus sur les réseaux sociaux. Hélène Denize, dans l’Eure, a posté une annonce à la mi-mai sur Facebook pour recruter une trentaine de saisonniers pour sa récolte de rhubarbe. « Elle a été partagée 1 500 fois, c’est de la folie ! Cela fait trois ans que je recrute ainsi. Les personnes habitent dans un rayon de moins de 30 kilomètres. » Pour susciter cet engouement, elle a choisi de concentrer sa récolte sur les week-ends. « Quand la production le permet, c’est une solution. » Elle offre aussi le petit-déjeuner et le déjeuner à ses saisonniers.
« On n’est pas des bras »
« Ça fait toute la différence », commente en chœur le couple vosgien, Marie et Jérémy. À 26 et 32 ans, ils parcourent la France depuis quatre ans, d’un CDD (contrat à durée déterminée) à l’autre en agriculture. « On ne regarde pas le salaire en priorité, mais l’ambiance. Une pause avec un café, ça fait plaisir. Parfois, aucune ne nous est accordée durant six heures d’affilée », pointe Marie.
Les employeurs les plus conviviaux sont recherchés
Le duo vit dans un camping-car. Il n’a pas besoin d’être logé, mais recherche des employeurs avec terrain. « Pas dans une casse comme nous a proposé le dernier, pour 150 euros par mois. On parle beaucoup entre saisonniers. Chez lui, personne n'y va. Les plus conviviaux sont en revanche recherchés, raconte Jérémy. L’un d’eux a aidé Marie à trouver un dentiste. Surtout, ne dites plus que vous recherchez “des bras”, ajoute le couple à l’unisson à l’adresse des agriculteurs. Ça démontre la mentalité de la personne. Un travail se passe bien quand le respect est mutuel. Nous ne sommes pas que des bras. »
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